Interview de Laurent Sieurac créateur de BD par vincent Facelina
23/11/2023
Echo des Hauts Cantons :
Devenir son propre éditeur, créer son « entreprise » n’est pas un choix anodin. Quelles sont vos motivations pour avoir agir ainsi ?
Laurent Sieurac :
Au départ, c'est parce qu'il y a un constat d'échec vis-à-vis des gros éditeurs qui n'ont pas voulu de ce projet un peu atypique. Effectivement… puisque c'était déjà une bande dessinée monochrome, tout en sépia.
Je la co-écris avec un archéologue, Alain Genot. Nous avions l’ambition d'avoir un carnet pédagogique d’un feuillet, soit 16 pages en complément de l’album. Pour les éditeurs, c'est du papier en plus qui ne leur rapporte rien. Ils ne voient pas forcément l'intérêt, alors que pour nous cela faisait partie intégrante du projet. Ce n'est pas quelque chose « en supplément ». C'est un tout !
Il y a eu les premiers écueils par rapport à cela. Le choix du monochrome n'a pas aidé non plus mais c'était un projet auquel je croyais… Je crois toujours d'ailleurs ! Pour preuve, nous arrivons au dernier tome. Ce sera le 9ème sur une série qui marche très bien au final. Le public m'a donné raison de vouloir continuer dans cette voie !
Avant cela, cette série a quand même eu une vie éditoriale assez compliquée puisque nous l’avons faite éditer au départ chez « Idées+ »( tome 1, sept. 2009). Ensuite chez un plus gros éditeur, Cleopas (tome 1 et 2 , 2012 ; tome 3, 2013 ), mais qui a rapidement fait faillite après…. Nous avons essayé de rentrer dans le giron de « vrais éditeurs » qui ont refusé pour les raisons citées au dessus.
Ceci dit, cela faisait des années que je voulais réellement m’auto-éditer de A à Z. Ça a donc été l'occasion via un projet qui me tenait vraiment à cœur et qui - a priori - plaît vraiment au public parce qu'il y a une démarche très sincère. Je me jette un peu des fleurs mais « quand même ! ». Je pense que le public ressent cette sincérité « avec cette ambition de pédagogie », tout en prenant plaisir à la lecture d’une vraie BD. Quand les lecteurs referment le livre, même sans avoir ouvert le carnet pédagogique, ils ont appris des choses ; quand ils lisent le carnet pédagogique, ils réalisent avoir appris vraiment beaucoup de choses !
Je pense qu'on a fait bouger « les lignes » par rapport à la médiation archéologique.
Ainsi, dernièrement, j'ai fait le vernissage d'une exposition à Aix-en-Provence -L’histoire (possible) de VALERIUS PROCULUS, une enquête archéologique en bande dessinée- pour laquelle j'ai dessiné 26 pages (cette exposition se termine à la fin de l'année). On sentait, du côté des institutionnels, une réticence par rapport à la BD. Force est de constater qu'ils ont perçu qu'ils se passait quelque chose pour le public présent. La médiation par le dessin ...
Comme on dit : un bon dessin vaut mieux qu'un long discours.
Nous avons vraiment vu que les gens étaient intéressés, se posaient devant les pages, passaient plus de temps à regarder et lire le texte des pages bd. Ainsi les institutionnels ont constaté que ce dessin de médiation fonctionnait très très bien. C'est, en effet, un moyen très simple pour beaucoup de gens de rentrer dans quelque chose qui est un peu ingrat, si l’on peut dire. Il y avait une véritable attention. Ça pétillait dans le regard du public !
Une anecdote qui m'a fait très plaisir. J'ai fait le voyage en voiture vers Aix avec la directrice du musée d'Arles et d'autres personnes. À un moment, elle a totalement oublié que j'étais dans la voiture et je l’ai entendu dire « l'exposition, c'est vrai que les dessins sont vraiment chouettes ! ».
C'était vraiment un compliment pour moi. C'était - de sa part- vraiment sincère.
L’expo fait des vagues et nous avons ainsi eu droit à une belle communication sur le site officiel du ministère de la culture et nous travaillons d’ores et déjà à son itinérance, enfin surtout David DJAOUI l’archéologue responsable de celle-ci et scénariste de cette BD..
Il semble bien que maintenant, avec la série ARELATE et cet album « Valerius Proculus » ( nom du récit bd pour l’exposition ) nous avons fait bouger des lignes par rapport à la médiation culturelle.
C'était une ambition sous-jacente de notre projet initial à laquelle on croyait énormément.
Le regard et l'engouement des gens pour la bd, nous donne raison.
Si nous avions eu le catalogue d'exposition sous forme de bande dessinée ça aurait été mieux qu'un festival bd. En l’espace de deux heures on aurait cartonné ! (Rires).
Dans tous les cas, c'est vraiment très intéressant de pouvoir partager cette passion alors, qu’à la base, je ne suis pas du tout dans cet univers là !
EHC : Revenons à votre série. Quel en est le tirage ?
LS : Le premiers cycle d’ARELATE, regroupant les 3 premiers tomes, a été tiré à 8000 exemplaires avec des ventes à 5500 actuellement. Les 2800 derniers exemplaires ont été imprimés il y a quelques semaines. Pour de l’auto-édition, c'est très très bien ! Lorsque j’évoque ces chiffres à des amis éditeurs, il y a une véritable interrogation.
EHC : … car avec de tels chiffres, vous avez placé très haut la barre …
LS :
En effet. Toutes éditions confondues le tome 1, c'est 13 000 exemplaires ! Mine de rien, ce n'est pas juste moi qui dis que la série et le sujet, intéressent le public. Le public est là !
EHC : Dernière question . Saint-Malo, c'est loin d'Arles. Quelle est la motivation pour un tel déplacement ?
C'est un festival très sympathique. Il y a quasiment tout le monde de la BD et il y règne une très bonne ambiance. Tout le monde est souriant malgré une météo peu clémente parfois comme c’est le cas cette année. Le mode de répartition entre les auteurs, les indépendants, les gros éditeurs, les bouquinistes… tout est mixé et cela « oblige » le public à voir tout le monde, en fait. Ça, c’est super ! Contrairement à « un Angoulême » où chacun « a sa bulle » ( les espaces d’accueil au public sont appelés « Bulles » et regroupent par catégories professionnelles -citées précédemment – les stands ). C’est ostracisé ! Ça fait un peu ghetto et l’ambiance est moins intéressantes car, finalement, on se connaît tous. On est pote avec les libraires, avec les bouquinistes. Ça permet de voir tout le monde et c’est plutôt sympa.
Certes, il y a beaucoup de monde… c’est une grosse machinerie, mais, en même temps, tout est très humain et cela se ressent.
EHC: Merci Laurent Sieurac.
Laurent Sieurac est né en 1974. Après des études universitaires et l'obtention d'une maîtrise de chimie, il retourne à sa première passion en intégrant pendant deux années les beaux-arts où il apprend le dessin en autodidacte, car, comme il le dit si bien, "on apprend plein de choses au beaux-arts, sauf le dessin " !
Vincent Facelina